Suspendue il y a un mois par le tribunal judiciaire de Mamoudzou, l’opération « Wuambushu » (qui signifie « reprise » en mahorais), pensée par Gérald Darmanin et validée en février par Emmanuel Macron lors d’un Conseil de défense, a finalement débuté lundi 22 mai à Mayotte, avec la démolition de 162 cases dans lesquelles vivaient 400 personnes. Il s’agit donc de la première étape de cette vaste opération inédite avant la destruction d’une quinzaine d’autres bidonvilles, prévue dans les prochaines semaines.

Très contestée, les trois objectifs de cette opération militaro-policière sont, dans l’ordre, le renvoi des immigrés illégaux, en grande partie originaires des Comores, la destruction des habitats insalubres dans les bidonvilles et la lutte contre la délinquance sur ce département d’outre-mer français.

La situation à Mayotte

Mayotte, avec près de 350 000 à 400 000 habitants, a vu sa population quadrupler entre 1985 et 2017, selon l’Insee, sous le double effet d’une forte natalité et des phénomènes migratoires. L’archipel compte désormais 50 % d’étrangers, majoritairement en provenance des Comores, plus particulièrement de l’île voisine d’Anjouan, mais un tiers d’entre eux sont nés à Mayotte.

Avec Mayotte, Grande-Comore, Mohéli et Anjouan forment l’archipel des Comores. En 1974, Mayotte a voté pour rester française, tandis que les trois autres îles ont préféré l’indépendance pour former l’Union des Comores. En 1997, Anjouan avait fini par demander son rattachement à la France lors d’un mouvement séparatiste, sans aboutir à une véritable indépendance de l’île.

Les Comores, ou l’Union des Comores, étant l’un des pays les plus pauvres au monde, 45 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et environ 23,5 % vit dans l’extrême pauvreté, l’émigration vers Mayotte pour des raisons économiques et sociales y est très importante.

Pour exemple, dans ce territoire français où le taux de pauvreté est de 80 %, le RSA (dont le montant est plafonné à la moitié de ce qu’il est dans les autres départements) n’est accessible qu’ »aux Français ou aux étrangers pouvant justifier de 15 années de présence régularisée sur le territoire« . Ainsi, seules quelque 5 000 personnes y ont accès malgré le taux de pauvreté monétaire qui est, à Mayotte, cinq fois plus élevé qu’en métropole.

Les Anjouanais et Comoriens arrivés à Mayotte n’ont pas d’autre choix que de s’installer dans des maisons en tôle, dans de grands bidonvilles qui abritent aujourd’hui la moitié de la population mahoraise. Il leur est difficile d’obtenir un statut légal et un minimum de droits à Mayotte, car depuis 2018 et la loi Asile et Immigration, il existe dans le droit français une exception pour le droit du sol à Mayotte. L’objectif de cette loi était de décourager l’immigration irrégulière sans qu’il soit aujourd’hui possible d’identifier un effet de diminution des arrivées illégales.

Les conséquences sociales et économiques de l’immigration à Mayotte

Cette immigration massive n’a cessé de dégrader la situation sociale de l’île de Mayotte au cours des dix dernières années. Malgré les politiques publiques mises en place, leur insuffisance et leur inefficacité se font ressentir, laissant une grande partie de la population dans une situation précaire.

Sans surprise, la crise de COVID-19 n’a fait qu’accentuer la précarité de tous ceux qui vivaient des économies informelles et a aggravé les profondes tensions autour du système de santé de Mayotte déjà très fragile à cause de la pression démographique et du manque d’infrastructures et de moyens.

La mise en place de la loi ELAN à Mayotte, à partir de 2019, a donné aux Préfets le droit de détruire les bidonvilles insalubres en facilitant les procédures d’expulsion. Des dizaines de milliers de personnes se sont alors retrouvées dans des situations de précarité plus profondes que jamais. Et malgré le travail des nombreuses ONG et des réseaux de solidarités sociales et économiques, les faibles accès aux droits, notamment celui d’aller à l’école pour les enfants, sont aujourd’hui très limités.

Ces politiques d’expulsions successives ont laissé de nombreux mineurs isolés. Les associations locales et les pouvoirs publics estiment qu’il y aurait entre 3 000 et 4 000 mineurs non-accompagnés sur l’île de Mayotte, pour environ 16 000 mineurs isolés à l’échelle nationale.

Ces enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes et trouvent refuge dans des « bangas« , le nom donné aux cases en tôle dans les bidonvilles à Mayotte, exposés à des dangers tels que l’exploitation, la violence et la traite des êtres humains.

Les défis éducatifs et la situation des mineurs isolés

La situation éducative à Mayotte est marquée par des difficultés d’accès à l’éducation pour les enfants immigrés.

Parmi ces enfants, certains ont la chance de pouvoir aller à l’école, mais il manque de nombreuses places. Au total, 17 000 élèves sont scolarisés à Mayotte, mais au moins 1 000 enfants chaque année ne trouvent pas de place par manque d’infrastructures.

De plus, par peur de l’expulsion du territoire, les familles sans titre de séjour préfèrent souvent choisir de ne pas scolariser leurs enfants.

De plus, à Mayotte, dans ce contexte, on constate des demandes de justificatifs abusives de la part des communes pour empêcher l’inscription à l’école d’enfants issus de l’immigration irrégulière.

À Mayotte en 2017, 34 % de la population adulte n’a jamais été scolarisée. Les femmes (39 %) sont par ailleurs moins scolarisées que les hommes (29 %).

L’opération « Wuambushu » et ses conséquences

Pour faire face à cette situation unique sur le territoire français et à la pression migratoire, le gouvernement a décidé d’apporter une réponse sécuritaire, dans le cadre de l’opération « Wuambushu », lancée par le ministre de l’Intérieur à la fin du ramadan, le 23 avril 2023.

L’envoi de plus de 500 policiers supplémentaires sur l’île a été mal perçu par les habitants des bidonvilles et par le gouvernement comorien, ce qui a suscité de fortes critiques et des répercussions diplomatiques entre la France et l’Union des Comores, mais aussi sur l’île de Mayotte.

De plus, le début de cette opération a connu de gros ralentissements dès son lancement avec le refus des Comores de recevoir les personnes expulsées et la suspension par la justice des démolitions de bidonvilles, alors que la préfecture était incapable de fournir des offres de relogement aux personnes expulsées.

Car si « une partie de la population doit être relogée« , selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, il est prévu que les autres, lorsqu’ils sont comoriens et qu’ils résident de façon illégale à Mayotte, seront massivement expulsés vers Anjouan, l’île comorienne la plus proche, située à 70 km de Mayotte dans les prochains jours.

Dénoncée comme « brutale« , « anti-pauvres » et violant les droits des migrants par de nombreuses ONG, cette opération est cependant soutenue par les élus français et de nombreux habitants mahorais.

Les réactions et les partenaires sur le terrain

Enfants sur l'île de MayotteLes réactions à l’opération « Wuambushu » sont contrastées. Si certains saluent les mesures prises pour mettre fin à l’immigration irrégulière et améliorer la situation à Mayotte, d’autres expriment leur inquiétude quant aux conséquences de l’opération sur les populations vulnérables, en particulier les enfants et les familles touchées par les démolitions.

Nos partenaires sur le terrain, à Mayotte et aux Comores, vivent directement les conséquences de cette opération.

Le Village d’Eva à Mayotte, partenaire de PARTAGE depuis septembre 2020, qui œuvre pour améliorer les conditions de vie des enfants en grande précarité à Mayotte, principalement des mineurs non accompagnés, en intervenant dans le domaine de l’éducation et de la santé, craint une baisse de la scolarisation des enfants, les parents préférant les garder à la maison par crainte d’être expulsés.

Sébastien Denjean, Directeur du Village d’Eva, témoigne sur la situation actuelle : 

« Je ne sais pas quel est le traitement en est fait actuellement en métropole, mais le dispositif n’a pas pris, pour l’instant, l’ampleur évoquée initialement. Les opérations de démolition de bidonvilles sont bien moindres que les objectifs annoncés par le gouvernement. Les reconduites massives à la frontière ont-elles-aussi été « entravées » par des aspects politico-techniques (bateau pour acheminer les ressortissants étrangers vers Anjouan) et les opérations de lutte contre la délinquance restent mesurées.

Concrètement, l’opération W. ne diffère pas énormément de la situation normale vécue à Mayotte. Le plus dérangeant pour l’instant, ce sont les effets induits et le renforcement (et l’éparpillement peut-être) des temps d’accrochages entre personnes (jeunes ou moins jeunes) et entre personnes et forces de l’ordre. Ce sont des affrontements de type guérilla urbaine, sporadiques, qui interviennent sans qu’on ne sache trop pourquoi à tel ou tel endroit. Cela nous oblige à redoubler de prudence dans nos déplacements et à veiller aux chemins que nous empruntons. 

En conséquence, notre fonctionnement n’a pas été trop perturbé : quelques personnes (adultes mais aussi malheureusement au moins 2 enfants) attrapés et reconduits à Anjouan, quelques bénévoles plus empêchés que d’habitude pour rejoindre nos centres, par crainte de la PAF, quelques absences d’enfants surtout les premiers jours fin avril, et pas mal de craintes et de tensions. »

 

MAEECHA aux Comores, partenaire de PARTAGE depuis 2005, dont l’objectif est l’amélioration durable des conditions de vie des enfants et des familles comoriennes à travers la réalisation de programmes en lien avec l’éducation, l’insertion professionnelle des jeunes, le développement local, la protection de l’enfance isolée ou l’assainissement, anticipe une augmentation du nombre de mineurs isolés sur le territoire de l’Union des Comores après les expulsions à Mayotte. Pour répondre à ce phénomène, l’ONG va mettre en place un recensement des ces mineurs afin de les accompagner au mieux et de les orienter vers les services compétents.

L’opération « Wuambushu » à Mayotte a des conséquences profondes sur la vie des habitants de l’île et des Comores voisines. La situation sociale, économique et éducative fragile de Mayotte, exacerbée par l’immigration massive, nécessite une réflexion plus approfondie sur les politiques migratoires et l’aide à apporter à ces populations vulnérables. Face à ces enjeux, il est essentiel de promouvoir la solidarité et de soutenir les initiatives visant à améliorer les conditions de vie de tous les habitants de l’archipel.