Anne Le Guern, directrice du Village d’Eva à Mayotte, nous parle de Paguiel :

Paguiel a été accompagné, ainsi que ses deux frères et sa maman dans le cadre de la constitution de leurs dossiers de demande de scolarisation dans un établissement public. Tous les trois ont suivi une scolarité en RDC  (République démocratique du Congo) avant leur parcours migratoire. Nadine, leur maman, était travailleur social dans son pays et a souhaité devenir bénévole au sein de notre association. Ses enfants ont tous trouvé un établissement scolaire. La famille habite Passamainty, Paguiel et son frère Pèlerin font le trajet chaque jour de Passamainty à Pamandzi pour aller au collège (près de quatre heures aller-retour bus et barge). Nadine est très fière de ses enfants et nous parle de leurs talents respectifs. C’est à cette occasion qu’elle nous présente les dessins de Paguiel.

Paguiel dessine, frénétiquement, jusque tard dans la nuit. Il est passionné d’aviation, d’aéronautique. Ses dessins sont tous très géométriques, avec une hyper maîtrise des perspectives et des proportions. Paguiel au travers du dessin maîtrise son environnement…

Les plus belles histoires sont souvent le fruit de rencontres, de hasard… C’est ainsi que nous avons présenté ses dessins à Loïc, un salarié de l’association Fahamou Maecha, formé aux Beaux Arts. L’intérêt de l’artiste est immédiatement capté : « Est-ce que je peux rencontrer Paguiel ? » Et c’est bien de cela dont il s’agit : de la rencontre de deux sensibilités artistiques qui communiquent à travers le dessin. Loïc accepte de donner un cours particulier à Paguiel chaque semaine… un cours exigeant, où l’attention et la persévérance sont sans cesse sollicités… Jamais il n’est absent aux cours de dessin qui ont lieu dans les locaux de l’association. Paguiel est un brillant élève qui n’a nul besoin de notre accompagnement dans le cadre de sa scolarité. Scolarisé en 5ème, à la fin du premier trimestre scolaire, le conseil de classe décide de son passage en 4ème dès le second trimestre. Notre accompagnement consiste à croire en lui, en ses compétences, ses potentiels. C’est dans le regard de Loïc et de celui de l’équipe du Village d’Eva qu’il puise sa confiance en lui, et qu’il surmonte progressivement les traumatismes de son parcours migratoire.

Le jeune garçon est aujourd’hui affectivement attaché à l’association : il est venu prendre les mesures et a dessiné les plans des locaux des deux nouveaux sites du Village d’Eva.


Progressivement, Paguiel lâche prise et s’autorise d’autres types de dessins :
Des esquisses de personnes (son professeur de dessin, sa mère, moi…) Ses modèles initialement trouvés sur le web, sont aujourd’hui des modèles réels, qui posent pour lui …
Un concours de dessin à Mayotte est proposé sur la page Facebook de « Graine de vie ». Je propose à Paguiel d’y participer et transmets les consignes du concours à Loïc pour qu’il puisse l’accompagner dans cette aventure.
Paguiel propose une planche de bande dessinée… il ne s’autorise pas encore la couleur.

Deux mois plus tard, Graine de vie m’envoie un message : Paguiel est sélectionné. Son dessin sera publié… il lui est demandé de le coloriser … En deux mois Paguiel a progressé, aujourd’hui la couleur, c’est possible. Il va retravailler son dessin.
Alors que j’emmenais Paguiel derrière mon scooter à Combani pour faire les plans des locaux, il me tape sur l’épaule pour me glisser à l’oreille : « Regarde Anne, c’est beau la nature, je veux dessiner la nature… ».
Paguiel continue de progresser, encore et toujours dans cette discipline… Aujourd’hui Loïc ne travaille plus à Fahamou Maecha… mais il continue de travailler chaque semaine avec Paguiel. À la fin d’une de leur séance de travail, il me dit : « Aujourd’hui on a travaillé les masses… Tu sais ce n’est pas facile, le dessin c’est une discipline exigeante. » Visiblement, le professeur est fier de son élève !Paguiel a touché mon cœur… Je pense qu’il a touché celui de Loïc également. Chaque jour au Village d’Eva un enfant touche mon cœur…