Chaque année, la Journée internationale des Droits des Femmes est l’occasion de mettre en lumière les luttes et les avancées en faveur de l’égalité. Mais c’est aussi un moment pour écouter celles qui, partout dans le monde, agissent et font entendre leur voix. Cette année, PARTAGE donne la parole à Fanja Randriambololotiana, Directrice de l’association VAHATRA (partenaire de PARTAGE depuis 2018) et engagée à Madagascar, un pays où les inégalités de genre restent un défi majeur. À travers son témoignage, elle nous éclaire sur la réalité des Droits des Femmes dans son pays au large de la côte est de l’Afrique et sur les combats qu’il reste à mener.
Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours avant de diriger l’association VAHATRA ?
Après un Diplôme de Technicien Supérieur en gestion et administration d’entreprise auprès d’une université privée, j’ai débuté ma carrière en tant qu’assistante RH dans une entreprise de production laitière. Après six mois, désireuse d’acquérir de nouvelles expériences, j’ai rejoint une entreprise textile en tant que chef d’équipe de production. Cependant, en raison de la compression du personnel liée à la crise politique de 2002, j’ai dû quitter l’entreprise.
En avril 2003, j’ai intégré VAHATRA en tant qu’animatrice sociale, intervenant directement auprès des familles vulnérables. Trouvant un réel sens à mon engagement, j’ai décidé de me réorienter professionnellement, délaissant les chiffres et les décisions descendantes et imposées. En 2005, j’ai entrepris une formation en alternance d’Animateur Éducateur, organisée par le CFAE (Comité de Formation des Animateurs Éducateurs) avec le soutien d’ENDA/Océan Indien.
En 2006, j’ai contribué à l’ouverture de la troisième agence de VAHATRA et ai été nommée responsable de l’agence, supervisant les équipes des volets social et microcrédit. Avec l’extension des activités de VAHATRA dans les zones rurales, j’ai été promue en 2010 au poste de coordinatrice sociale, en charge du développement des activités sociales en milieu rural.
En 2012, j’ai accédé au poste de directrice adjointe, responsable du secteur social et santé. À ce titre, j’ai suivi de nombreuses formations qui ont renforcé mes compétences et m’ont permis d’assumer pleinement mes responsabilités. En tant que représentante du volet social, j’ai également pris part à divers réseaux d’acteurs, enrichissant ainsi mon expertise. Ce n’est qu’à partir de cette fonction que mes compétences initiales ont véritablement apporté une valeur ajoutée à mon parcours.
Depuis le 1er janvier 2025, j’assume le poste de Directrice Générale de l’ONG VAHATRA.
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager pour la protection des enfants et l’égalité de genre ?
Née dans une famille nombreuse et vulnérable, j’ai été adoptée par une famille vivant dans des conditions précaires. Malgré les difficultés du quotidien, mes parents m’ont transmis une leçon essentielle : l’amour parental est fondamental.
J’ai grandi dans une famille conservatrice où j’ai été témoin des inégalités entre les femmes et les hommes, exacerbées par la stérilité de ma mère adoptive. Dans notre entourage, un message récurrent persistait : une fille ne pouvait pas assurer la préservation du patrimoine familial. Face à ces pressions, mes parents ont mené un véritable combat pour assumer leur choix d’adopter une fille – et non un garçon – et pour me protéger des préjugés et discriminations.
Malgré leurs moyens limités, ils ont fait le choix courageux de m’inscrire dans des établissements scolaires privés, convaincus que l’éducation était la seule arme pour lutter contre les inégalités de genre. Aujourd’hui encore, à l’âge adulte, je poursuis leur combat face aux pressions familiales.
Mon parcours personnel, combiné aux réalités observées auprès des familles accompagnées par VAHATRA, renforce mon engagement en faveur de la protection des enfants et de l’égalité des genres.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les filles dans les communautés où vous intervenez ?
Dans les zones rurales et les familles conservatrices, les filles et les garçons ne bénéficient pas des mêmes considérations. Avoir un garçon est perçu comme un privilège, car il est chargé d’assurer la continuité du nom familial et de préserver le patrimoine. L’héritage favorise généralement les garçons, tandis que les filles sont destinées à rejoindre la famille de leur mari.
Les filles abandonnent souvent l’école très tôt, car on estime que savoir lire et écrire suffit pour leur assurer un avenir. Par ailleurs, les métiers restent fortement stéréotypés, en particulier en milieu rural. Enfin, l’obtention d’une carte d’identité nationale est une priorité pour les garçons, tandis que les filles en sont souvent privées.
Lorsqu’une fille a une grossesse non désirée, cela renvoie une image très négative aux yeux de ses parents et, plus largement, de sa famille. Elle est perçue comme un mauvais exemple pour les autres, ce qui conduit souvent à son isolement social. En revanche, lorsqu’un garçon met une fille enceinte, il ne subit généralement pas les mêmes conséquences et conserve son statut et son confort.
Les filles ne peuvent ni exprimer ni manifester librement leurs idées, et celles-ci ne sont même pas prises en compte lorsqu’il s’agit des décisions familiales, notamment concernant la gestion des biens (vente ou achat, par exemple). Dans certaines familles, elles sont même exclues des réunions familiales, renforçant ainsi leur marginalisation dans les prises de décision.
Lorsqu’une fille exprime ses idées avec assurance, elle est souvent perçue négativement et comparée à une « poule qui chante« , une expression qui suggère qu’elle transgresse les rôles traditionnels assignés aux femmes, le chant étant normalement réservé aux coqs. Cette attitude est mal vue, et il est parfois déconseillé de la demander en mariage.
Par ailleurs, les métiers restent fortement stéréotypés. Lorsqu’une fille exerce une profession considérée comme réservée aux garçons, elle ne reçoit pas de félicitations, mais plutôt des remarques pleines de réserve, mettant en doute sa légitimité dans ce domaine.
La santé de la reproduction reste un sujet tabou entre parents et enfants, ce qui entraîne de nombreuses conséquences préoccupantes. Le manque d’information et de dialogue favorise des problématiques majeures telles que l’abandon scolaire précoce, les grossesses non désirées, les mariages précoces et, dans certains cas, la délinquance juvénile liée au sentiment de désespoir et d’exclusion sociale.
Pouvez-vous partager un exemple ou une initiative qui a eu un impact positif sur les filles et les femmes accompagnées par VAHATRA ?
Le programme de microcrédit, qui bénéficie à environ 70 % de femmes, constitue un levier essentiel pour leur autonomie financière, leur permettant ainsi de réduire, voire de sortir, de la soumission envers leurs maris.
Le programme d’accompagnement familial encourage les filles et les femmes à s’exprimer librement et à prendre part aux décisions les concernant.
Les ateliers destinés aux parents, incluant les pères, visent à les sensibiliser et à les accompagner vers une évolution des mentalités en faveur de l’égalité de genre.
Les initiatives pour l’enfance, mettant en avant l’égalité entre filles et garçons, contribuent à conscientiser les parents et à les encourager à adopter un comportement plus équitable envers leurs enfants.
L’appui à l’obtention de documents d’identité constitue un modèle de référence pour les familles, en affirmant que chaque individu, sans distinction de genre, a droit à une reconnaissance légale.
Enfin, les actions de sensibilisation autour de la santé de la reproduction permettent d’anticiper et de prévenir l’amplification des inégalités et des discriminations subies par les filles et les femmes.
Que représente la Journée internationale des Droits des Femmes pour vous ?
Pour moi, la journée du 8 mars est un événement célébré chaque année. C’est une occasion de rappeler à tous que les problématiques liées à l’inégalité de genre ne sont pas nouvelles et ne concernent pas uniquement Madagascar. Elles appellent chacun à adopter de nouvelles perceptions et à modifier ses comportements envers les femmes, afin de favoriser une société plus équitable et inclusive.
Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes filles et aux femmes en cette journée du 8 mars ?
J’encourage les jeunes filles et les femmes à ne pas se limiter à la célébration de cette journée, mais à s’engager activement pour le changement. Il ne s’agit pas d’attendre que d’autres fassent évoluer les choses, car chacune a le pouvoir d’agir à son niveau. Et surtout, il est essentiel de se rappeler que revendiquer ses droits va de pair avec l’accomplissement de ses devoirs, en tant que fille et en tant que femme.
Selon vous, comment chacun peut-il agir à son niveau pour faire avancer l’égalité de genre ?
Chacun peut agir à son échelle pour impulser un changement autour de soi. Développer la confiance en soi est une première étape essentielle, en se rappelant que chaque personne est unique et a un rôle à jouer.
Une démarche réflexive est nécessaire : comprendre son parcours, identifier les changements souhaités, reconnaître ses potentialités ainsi que ses faiblesses. Se focaliser uniquement sur les difficultés quotidiennes peut constituer un frein, voire un blocage. C’est pourquoi, la capacité à se projeter dans l’avenir est un élément clé pour progresser vers une société plus égalitaire en matière de genre.
Les personnes en situation de vulnérabilité, pour diverses raisons, ont besoin d’un soutien adapté. Pour ceux qui les accompagnent, il est fondamental de prendre conscience que l’inégalité de genre est une problématique majeure. Cela implique une réflexion préalable sur leur propre rôle et leur engagement, afin d’adopter une approche éclairée et constructive.
En cette Journée internationale des Droits des Femmes, le témoignage que nous avons partagé nous rappelle que le combat pour l’égalité est encore loin d’être terminé. À Madagascar, comme ailleurs, les filles et les femmes font face à de nombreux défis, mais elles sont aussi porteuses d’espoir et d’initiatives inspirantes. Continuons à les écouter, à les soutenir et à agir pour un monde plus juste et équitable.